Dans le cadre de fusions absorptions de sociétés, le suivi des régimes de protection sociale et d’épargne salariale en entreprise peut se révéler délicat…surtout si les tribunaux reconnaissent les manœuvres dolosives de la part des employeurs.
En l’espèce, un salarié est engagé en 2006 en contrat à durée indéterminée par une entreprise X. Cette dernière, la même année signe, avec les sociétés de son groupe, un dispositif d’intéressement (épargne salariale) puis met en place, en novembre 2008, un régime de prévoyance-santé collective obligatoire par décision unilatérale de l’employeur.
En 2011, le fond de commerce de la société X est vendu à une autre société (société Y). A cette occasion, un transfert du contrat de travail du salarié de la société X vers le repreneur Y est signé par les parties.
En mars 2015, le salarié conclut à nouveau une convention au terme de laquelle son contrat de travail est transféré à une troisième société (société Z). Il décède quelques mois après. Ses ayants-droit demandent alors à l’employeur l’application des accords de prévoyance et d’épargne salariale conclus par la société d’origine (la société X) en invoquant un dol lors du transfert du contrat de travail du salarié décédé. Une plainte pour abus de faiblesse au moment de la signature du transfert du contrat de travail du salarié entre la société Y et Z, en 2015, est en même temps déposée à la gendarmerie.
La cour juge que le contrat de prévoyance d’origine s’applique…
Infirmant le jugement de première instance, la cour d’appel reconnait, au regard des éléments dont elle dispose, que la société Z a bien dissimulé intentionnellement les informations essentielles relatives au régime de prévoyance applicable dans le cadre du nouveau contrat de travail et de la perte du bénéfice du régime de prévoyance initial mis en place par la société A alors que le salarié se trouvait très affaibli par la maladie (dont il décédera en août 2015).
Les juges relèvent qu’il est manifeste, que le salarié n’avait aucun intérêt à signer un tel contrat de travail et à renoncer au dispositif de prévoyance de la société X d’origine, transmis au repreneur, plus avantageux, sans aucune contrepartie et alors qu’il se savait très malade et qu’il avait tout intérêt à bénéficier du régime le plus avantageux notamment pour son épouse et ses enfants.
La cour retient donc que le salarié n’a pas donné un consentement libre et éclairé et qu’il convient de prononcer la nullité du contrat de transfert du mois de mars 2015. Dès lors, en application de l’article L1224-1 du Code du travail et en l’absence de dénonciation des accords de prévoyance conclus par la société d’origine, l’employeur devra verser aux ayants-droits du salarié, les sommes dues au titre du capital décès, de la rente d’étude et de la rente conjoint jusqu’au 65ème anniversaire de naissance de l’assuré, en application du contrat de prévoyance de la société d’origine.
…mais pas l’accord d’intéressement.
Pour obtenir la confirmation du jugement de première instance, l’employeur soutient que la cession du fond de commerce n’a été que partielle, ce qui a rendu impossible l’application de l’accord d’intéressement, lequel a donc cessé de produire ses effets entre le nouvel employeur, la société Y et les salariés transférés. Il met en avant l’article L.3313-4 du Code du travail dans sa version applicable (avant la loi PACTE du 22 mai 2019) qui dispose que « en cas de modification survenue dans la situation juridique de l’entreprise, par fusion, cession ou scission et lorsque cette modification rend impossible l’application de l’accord d’intéressement, cet accord cesse de produire effet entre le nouvel employeur et les salariés de l’entreprise. »
La cour rappelle que l’accord d’intéressement du groupe a été conclu par 9 sociétés et concerne 14 établissements, comprenant notamment celui dont le fonds de commerce a été cédé en partie. Compte tenu de cette cession partielle du fond de commerce et du mode de calcul de l’intéressement, le transfert du contrat de travail du salarié et la modification de la situation juridique de son employeur qui s’en est suivie a rendu impossible l’application de l’accord d’intéressement de 2006 à au salarié à compter de 2011, estime-t-elle.
En conséquence, c’est à juste titre que le conseil des prud’hommes a débouté les ayants-droits du salarié du chef de cette demande estime la cour d’appel.
Cour d’appel de Rennes, 20 septembre 2019, n° 17/02567 , 8ème Chambre Prud’homale