Pourquoi ne pas avoir travaillé sur l’usage numéro 3 lyonnais ? Que fait-on de l’intérêt du client ? N’y a-t-il pas un risque d’atteinte à la libre concurrence ? Enfin quel est l’intérêt d’une position qui n’a pas été bâtie avec le secteur bancaire qui représente plus de 60 % de l’assurance vie ? N’est-il pas temps d’élaborer de vrais « usages de l’assurance vie » modernes constatant une véritable pratique de marché plutôt que d’essayer de tordre dans tous les sens un texte d’avant-guerre applicable aux seuls contrats résiliables ?
Isabelle Monin Lafin, associée d’Astrée Avocats revient sur la proposition de L’ANCIA relative au 3ième usage du courtage visant à instaurer le versement d’une indemnité compensatrice à l’intermédiaire d’assurance titulaire d’un ordre de remplacement de gestion sur un contrat d’assurance sur la vie.
Changement de courtier en assurance vie : Du bon usage du 3ème usage.
L’ANCIA, fédération d’associations professionnelles représentatives du marché de la distribution de produits d’assurances a publié le 23 octobre 2019 une position destinée à recommander aux acteurs concernés le versement d’une indemnité compensatrice à l’intermédiaire d’assurance titulaire d’un ordre de remplacement de gestion sur un contrat d’assurance sur la vie (contenant valeur de rachat), que ce soit dans le cadre d’un contrat individuel ou d’une adhésion individuelle.
Le contenu de la position de l’ANCIA.
La position des organisations professionnelles est fondée sur le principe selon lequel l’usage constaté parisien 3 doit être rendu applicable à la relation contractuelle établie entre un assureur, un courtier et un client dans le cadre de la gestion d’un contrat d’assurance sur la vie contenant une valeur de rachat.
La position est également fondée sur le principe selon lequel il est fondamental de préserver la capacité pour le client de changer de conseil (intermédiaire d’assurance) pour la gestion d’un contrat d’assurance sur la vie souscrit par l’intermédiaire d’un autre courtier.
La position insiste également sur la nécessité d’une neutralité en termes d’impact financier sur le client des accords financiers qui pourront être pris entre les courtiers et les assureurs (et leurs agents) sur le droit à commission du courtier tenant (ou courtier tenant et agent) de la police.
Il est instauré ainsi un mécanisme d’indemnisation à l’instar d’une indemnité compensatrice qui serait versée, soit par le courtier qui reprendrait la gestion du contrat, soit par l’entreprise d’assurances qui maintiendrait pendant 18 mois postérieurement à la notification de l’ordre de remplacement de gestion, les commissions dues au courtier tenant, le nouveau courtier désigné par le client n’étant donc pas rémunéré pendant les 18 premiers mois de sa gestion.
La position précise le caractère non contraignant de cette recommandation et la circonstance selon laquelle les dispositions contractuelles prévaudront toujours sur le dispositif préconisé.
Nous sommes perplexes face à cette recommandation, quand bien même nous comprenons que les distributeurs ont à cœur de préserver la valeur ajoutée de leurs services et très certainement éviter des actes déloyaux consistant principalement, dans le sujet qui nous préoccupe, en l’appropriation parasitaire par un confrère du travail accompli par le courtier que l’on nomme « créateur de la police ».
Il est néanmoins difficile de suivre le raisonnement pour diverses raisons.
Le 3e usage parisien ne relate pas un usage constaté en assurance-vie.
Les usages parisiens constatés en assurances terrestres ont été le fruit historique d’un travail de terrain qui a consisté à écrire une pratique professionnelle constatée sur le marché. 2
C’est ainsi et en ces termes que les usages constatés en assurances terrestres ont été jugés comme ayant force de loi (Cass. Civ. 1ère 15 mai 2015 T 14-11.894). Le 3e usage parisien, tel qu’il a été reproduit dans la position, concerne, selon nous, une pratique historique constatée dans l’environnement des contrats résiliables de dommages.
Or, le contrat d’assurance sur la vie individuelle ou l’adhésion individuelle à un contrat collectif n’est pas résiliable par l’assuré : il est rachetable ou susceptible d’être mis en réduction.
La seule hypothèse de résiliation vise le non-paiement de la cotisation à l’assureur qui, adressant la mise en demeure peut (lui l’assureur) résilier en cas d’inexistence d’une valeur de rachat. (L 132-20 et L 132-21 CDA) En dehors de ce débat purement juridique, c’est surtout une question de méthodologie qui est en cause.
Il se trouve que dans la pratique, les assureurs-vie et les courtiers d’assurances exerçant majoritairement la profession de conseil en gestion de patrimoine, n’ont pas mis en œuvre unanimement cette pratique recommandée.
D’une part, les ordres de remplacement de gestion deviennent de façon assez récente une pratique courante, mais ne l’ont pas été dans le passé.
C’est probablement (mais pas seulement) les rendements négatifs sur les fonds euros qui justifient aujourd’hui l’intervention des intermédiaires d’assurances pour conseiller à leur clientèle un arbitrage des contrats investis sur les fonds en euros.
Ainsi, les contrats existants sont aujourd’hui mis en concurrence du point de vue de leur gestion, ils l’étaient moins auparavant. D’autre part, les débats concernant la transférabilité des contrats d’assurance de personnes et vie ont plutôt démontré une division du secteur concernant la rémunération des intermédiaires d’assurances.
Concernant les contrats contenant des valeurs de transfert, la très récente législation encadrée par la loi PACTE (L. 224-6 du code monétaire et financier issu de la loi 2019-486 du 22 mai 2019) tranche ce débat en autorisant l’assuré à exiger le transfert de son contrat, sans se préoccuper d’un droit de créance institué au profit de l’intermédiaire éventuellement dessaisi de la gestion future du contrat transféré.
De troisième part, certaines compagnies ont d’ores et déjà informé leur réseau de distribution, depuis l’introduction de la directive européenne par l’ordonnance du 16 mai 2018, qu’à la réception d’un ordre de transfert de gestion dûment adressé par le client, elles cesseraient toute rémunération du courtier tenant créateur de la police, au profit du nouveau gestionnaire.
Enfin, l’essentiel de l’activité en assurance-vie est porté par le secteur bancaire qui est loin d’avoir mis en œuvre de telles pratiques et n’a pas été associé à cette réflexion. Il est donc nécessaire de s’interroger sur la portée de cette position et surtout sur le niveau de consentement qu’elle engendrera sur le marché.
Pourquoi ne pas avoir travaillé sur l’usage 3 lyonnais ?
Même s’il est toujours difficile de déterminer le périmètre exact de l’application des usages, il est intéressant d’examiner que le 3e usage lyonnais contient un paragraphe complémentaire qui précisément traite de l’assurance-vie.
L’usage dispose : « En vie, la commission d’encaissement est acquise à celui qui bénéficiera d’un ordre de gestion.»
En soi, cet usage ne règle pas totalement la question, ou en tout cas, pas de façon suffisamment claire.
Néanmoins, il nous apparaît que les rédacteurs historiques des usages constatés avaient bien différencié le cas de l’assurance de dommages avec le cas de l’assurance-vie, pour lequel la situation de la résiliation du contrat n’était pas possible.
Les usages constatés mettaient en évidence que le courtier susceptible de percevoir la commission « d’encaissement » – qui peut viser les versements effectués sur les contrats d’assurance sur la vie – était celui qui était titulaire de la part du client d’un ordre de gestion.
Ainsi, pour les rédacteurs des usages (et nous partageons cet avis), la valeur ajoutée du courtier d’assurance vie ne porte pas sur la création de la police. Un contrat d’assurance sur la vie est une enveloppe rédigée par l’assureur, qui cristallise à la fois le portage de risque et les règles prudentielles attachées à la gestion du risque. La valeur ajoutée du courtier réside dans l’allocation d’actifs et l’arbitrage.
Ce qui figure la transition entre le « courtier tenant » et le « nouveau courtier », c’est l’ordre de remplacement de gestion qui transfère la gestion des sous-jacents au contrat d’un courtier à un autre.
Il ne nous paraît donc pas injuste qu’un courtier suggérant un arbitrage plus conforme aux intérêts du client, puisse s’approprier la rémunération y afférente, dès l’instant que le client lui signe le mandat de gestion.
Et, il ne nous paraît pas non plus injuste que le courtier qui avait été commissionné sur les rendements du versement initial ne soit plus commissionné, dès lors que son arbitrage initial a été contesté par le client au profit de l’arbitrage proposé par un autre intermédiaire.
Autant de réflexions qui nous amènent à considérer que nous doutons que le 3e usage parisien constaté des assurances terrestres soit en mesure de pouvoir être dupliqué à la spécificité de la gestion d’un contrat d’assurance sur la vie non résiliable.
Et que fait-on du client ?
Il est vrai que la position mentionne de façon très claire le principe selon lequel les accords qui seront pris entre les assureurs et les courtiers ne devront pas avoir d’impact financier pour le client.
Néanmoins, ces dispositions financières seront-elles révélées au client ? Et dans ce contexte comment peut-on imaginer qu’un courtier s’investisse dans la gestion d’un contrat d’assurance en ayant la perspective de ne pas être rémunéré pendant 18 mois.
Il nous semble que pour lever le conflit d’intérêts avec le client, ces dispositifs devront lui être révélés et ces dispositifs devront également être contrôlés au regard de l’article L 522-4 du code des assurances au terme duquel : « Les intermédiaires ou les entreprises d’assurances sont regardées comme respectant les obligations définies (ndlr L 521 et suivants) ….
Lorsqu’ils versent ou reçoivent des honoraires, des commissions ou fournissent ou reçoivent un avantage non monétaire en lien avec la distribution d’un contrat …, dans les seuls cas où le paiement ou l’avantage
1 – n’a pas d’effet négatif sur la qualité de service fourni au souscripteur ou à l’adhérent
2 – ne nuit pas au respect de l’obligation de l’intermédiaire ou de l’entreprise d’agir de manière honnête, impartiale et professionnelle au mieux des intérêts de ses souscripteurs ou adhérents. »
La question d’une rémunération qui s’inscrit à l’encontre d’un bon service rendu au client doit être posée.
Selon nous, toute rémunération convenue dont le sort est lié à celui du contrat constitue un conflit d’intérêts qui porte atteinte à l’intérêt primordial du client et se trouve dans ce contexte susceptible d’être remis en cause en regard du dispositif légal qui a édicté des règles de prohibition par contrôle a posteriori.
Il faut enfin évoquer le droit économique
Les dispositions du code de commerce réglementent également les décisions d’association d’entreprises.
Nous sommes gênés à l’idée que cette position valant recommandation et ne s’inscrivant pas dans un usage constaté ancien et unanime, puisse être analysée en droit économique comme ayant un objet restrictif de concurrence et rentrant dans le cadre des dispositions de l’article L 420-1 du code de commerce qui prohibe notamment les décisions d’associations professionnelles ou syndicats qui ont pour objet ou pour effet de limiter le libre exercice de la concurrence particulièrement en faisant obstacle à la fixation des prix, ou en n’intervenant sur des pratiques de marché qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher le libre jeu de la concurrence.
Dans l’hypothèse où un courtier n’entendrait pas reconnaître le droit à commission de son confrère, lequel dispose d’une convention en bonne et due forme signée par l’organisme d’assurances qui lui a promis la rémunération sur les encours jusqu’au terme du contrat, ce dispositif de recommandation n’aura-t-il pas pour objet ou pour effet d’empêcher le nouveau courtier, à qui la convention conclue entre le courtier tenant et l’assureur n’est pas opposable, d’accepter l’ordre de remplacement de gestion, voire de convaincre son client de ne pas toucher à l’arbitrage du contrat ? Lui-même pouvant de façon symétrique bénéficier des mêmes accords de la part des assureurs.
Ainsi, la position commune adoptée par les acteurs de la distribution correspond très probablement à un besoin légitime de définir les conditions dans lesquelles, doit être organisé le transfert de la gestion des contrats d’assurance sur la vie.
L’avenir dira comment cette recommandation est mise en œuvre et pourquoi pas les acteurs trouveront peut-être dans les conventions qu’ils vont signer contradictoirement avec leurs clients un dispositif susceptible de pouvoir être constaté ultérieurement. C’est en tout cas le vœu à formuler car en l’état, la position engendre de vraies questions de mise en œuvre opérationnelle et juridique.
Isabelle Monin Lafin Avocate associée ASTREE AVOCATS